Allaitement et Biologie de l'Evolution
Biographie de Luc Périno :
Luc Perino est médecin, écrivain et essayiste, diplômé de médecine tropicale et d'épidémiologie. Il a longtemps exercé en Afrique subsaharienne, en Chine tropicale et dans la France rurale.
Il réside actuellement à Lyon où il poursuit son activité d'enseignant à l'Université Claude Bernard (Histoire et épistémologie de la médecine, Sciences humaines et sociales, médecine évolutionniste). Infatigable militant de la vulgarisation des sciences médicales et biologiques, Luc Perino a écrit plusieurs documents, récits et romans où il pointe avec pertinence et humour les dérives du système sanitaire et du marché de la santé. Dans un autre registre il a publié plusieurs essais sur la médecine clinique, l'épistémologie du soin, les sciences de l'évolution et la médecine évolutionniste. Il est connu pour son implication dans la défense et la promotion de la médecine générale et clinique et il milite depuis toujours pour une formation médicale continue et indépendante. Il s'est engagé dans la promotion de la médecine évolutioniste en France.
La Biologie de l'Evolution est une des trois biologies du développement :
Parlons de la phylogénèse de l'investissement parental :
La phylogénèse c'est la succession des grandes espèces, comme l'arbre de vie, qui fait référence à Darwin. Il y a 4 grandes classes :
- Les poissons : la fécondation est externe, et il n'y a pas d'investissement nutritif parental.
- Les arthropodes ( les insectes, araignées etc ) : la fécondation est interne, la gestation est externe ( larves-chenilles ) et il n'y a pas d'investissement parental.
- Les oiseaux : la fécondation est interne, il n'y a pas de gestation mais une couvaison, et il y a un faible investissement parental ( régurgitations ... ).
- Les mammifères : la fécondation est interne, la gestation est interne. La différence avec les autres espèces est très importante. La participation maternelle est très forte et il y a un fort investissement nutritif maternel. Le sein n'est pas fonctionnel chez l'homme, mais il n'est pas impossible.
Mammifères :
Il y a un continuum nutritif chez les mammifères. Il y a différentes phases nutritives, et pas de séparation franche. La nutrition embryonnaire et foetale commence par la nutrition placentaire, puis par le colostrum à la naissance, puis par le lait maternel plus mature pour enfin passer à une diversification alimentaire, puis au sevrage. Le sevrage est toujours progressif.
La lactase :
Chez les mammifères, en allaitement exclusif, l'enzyme la lactase, qui permet de digérer les glucides du lait, le lactose, disparaît chez tous les mammifères après le sevrage.
Il y a 3 particularités chez l'Homo Sapiens ( hommes et femmes ) :
- la mortalité maternelle qui a amené un besoin de nourrice pour nourrir l'enfant.
- l'élevage d'autres mammifères, particulièrement les bovins, qui sont de grands producteurs de lait, en période néolithique.
- la prépondérance environnementale de la culture. Les êtres humains sont des êtres culturels. Il y a eu une forte pression vers la monogamie, avec un fort investissement paternel en hausse, ce qui est un progrès. Les conditions féminines sont à prendre en compte. L'assistance sociale et éducative, fait que les parents ne sont jamais seuls. L'adoption poussée à son paroxysme. Et ce qui marque vraiment cette prépondérance environnementale, c'est bien le commerce agro-alimentaire qui a influencé sur le mode nutritif au début du 20ème siècle.
Evolution de la lactase :
Donc la lactase a disparu chez tous les mammifères après le sevrage, mais chez l'être humain, elle s'est séparée en 2 catégories :
Certains ont perdu la lactase. D'autres ne l'ont pas perdue. C'est un thème classique de la biologie de l'évolution et de la médecine.
Avant le néolithique, chez tous les mammifères et les peuples qui n'ont pas élevé de mammifères, la lactase n'était pas présente après le sevrage. Après le néolithique, chez les éleveurs qui ont élevé des bovins, le lait a été consommé par les jeunes enfants. Après le sevrage du lait de la mère, il y a eu une poursuite avec le lait de vache par les enfants, et les adultes aussi. Qui a pu être aussi un grand secours en cas de famine.
En biologie de l'évolution, il y a une question fondamentale que Luc Périno se pose, ces peuples qui ont eu accès au lait de vache au delà du sevrage du lait maternel, les peuples se sont-ils dit "si l'adulte est capable de boire du lait de bovins, pourrait-on donner ce lait aux jeunes enfants lorsqu'il y a des difficultés comme la mort maternelle, la famine, la guerre" ... C'est une question importante à laquelle il n'y a pas de réponse, seulement des hypothèses. L'importance culturelle a un impact, il faudrait donc chercher une corrélation entre cette question et la réalité de l'allaitement maternel. Il a fallu chercher une corrélation entre les 2.
La première colonne correspond à différentes populations. La deuxième colonne représente le pourcentage de personnes ayant conservé le gène LCT muté ( gène qui permet de conserver la lactase ). On peut voir ainsi qu'en Autriche, 53% de la population a conservé ce gène, en Finlande, 59% l'ont conservé, en Grèce, 9%.
L'addition des % de la première colonne et la deuxième colonne font 100%. La deuxième colonne correspond aux personnes qui sont intolérantes au lactose, ils n'ont pas conservé le gène LCT muté. Quand on parle d'intolérance, selon Dr Luc Périno, ce n'est pas parce qu'on ne digère pas le lactose qu'on ne peut plus boire de lait, on va digérer les protides et les lipides.
On peut donc voir une corrélation très forte entre les peuples éleveurs de bovins, et le pourcentage de mères pratiquant l'allaitement à 1an. Et effectivement c'est le cas, ( les chiffres datent de 2017 ), nous pouvons donc voir que lorsque la présence du gène LCT est faible, le pourcentage d'allaitement à 1an est plus haut, exemple en Ouzbékistan, le pourcentage du gène LCT est de 16% et le pourcentage de l'allaitement maternel est de 90%. Pareil pour le Brésil, l'Inde etc, on peut le voir également dans le sens inverse, le pourcentage de personnes ayant gardé le gène LCT à un pourcentage d'allaitement à 1 an est plus plus faible.
Sauf pour les chiffres en jaune, où il n'y a pas de corrélation, l'exception confirme la règle, dit Luc Périno, en Grèce il y a 91% d'intolérance en lactose et seulement 10% d'allaitement à 1an. Il y a donc certainement une autre corrélation à mettre en évidence que celui de l'élevage culturel des bovins, il y a d'autres facteurs. Mais il est intéressant de comprendre que ça a tout aussi bien un impact. En Europe du Nord, on peut donc voir qu'il n'y a pas de corrélation entre les personnes qui sont intolérantes au lactose et le pourcentage d'allaitement à 1an, l'influence culturelle est bien plus forte que seulement l'élevage des bovins.
N'oublions pas que l'élevage des bovins est une forte industrie agro-alimentaire qui est venue proposer une alternative au lait maternel. C'est très important pour la phylogénèse, on comprend alors comment on peut modifier quelque chose de tout à fait naturel. L'époque du néolithique a certainement influencé déjà la pratique de l'allaitement maternel. Ceci est une hypothèse.
L'héritabilité mère-fille est importante, puisque les filles reproduisent le comportement de la mère. L'environnement est supérieur à la génétique. Dans le sens où l'environnement influencera la pratique ou non de l'allaitement maternel.
En Europe du Nord :
Bien que l'importance du facteur agro-alimentaire soit très présent, il y a d'autres facteurs influençants : le niveau de vie, l'éducation culturelle, la condition féminine, le travail.
L'alimentation artificielle ( les pcn) est une des contraintes environnementales qui pèse le plus sur la biologie de l'évolution.
La science mercatique :
Dans nos sociétés actuelles, la science mercatique, le marketing de l'industrie agroalimentaire a une influence majeure sur la phylogénèse :
- le lait blanc = génocide dramatique. , génocide africain de Nestlé ( eau-pcn ), 800 000 à 1 500 000 décès infantiles par an, selon les études.
- pression maternité = vous n'avez pas de lait, vous n'avez que du colostrum, votre lait n'est pas bon, il faut des PCN.
- pression sur les jeunes filles = liberté, femmes plus libres ( publicité du tabac et de l'alcool ), la femme n'est pas une vache.
- pression sur les médecins et professionnels de santé = régurgitations, le lait n'est pas bon, publicité, donnations.
La science mercantique est paradoxale, elle est voulue. Les publicités sur les dangers du tabac ( le tabac tue ), augmente le tabagisme chez les jeunes, les adolescents sont à la recherche de provocation. Les allergies au lait de vache sont un atout aussi pour développer d'autres produits de substitution, produits dérivés.
Le lait et la lactation :
Comme tous les traits de toutes les espèces vivantes, le lait est adaptable et variable. Chaque type de lait est adapté à l'espèce qui le produit.
Il y a une variablitité de 2 phénotypes :
Phénotypes de l'enfant et de la mère, ils interviennent sur la qualité, la quantité et la variabilité du lait. Après la naissance, il y a une tension logique mère-enfant. L'enfant veut prendre un maximum à sa mère et la mère veut se protéger. Pour s'alimenter, s'occuper de ses autres enfants, elle doit garder son énergie. On insiste sur ses tensions pour appuyer le manque de lait, empêcher les mères d'allaiter. Le "on" étant l'entourage et les facteurs environnementaux.
Conflits d'intérets génétiques :
Empreinte générale fait partie de l'épigénétique. Chaque spermatozoïde, chaque ovule imprègne de façon épigénétique les gènes au moment de la fécondation pour qu'il y ait une empreinte épigénétique. Le père " va tenter" d'avantager ses gènes, la mère les siens, ils ont intérêt dans la réussite de la reproduction de leur espèce mais le père veut que le foetus s'en sorte. L'enfant prend à sa mère, la mère se protège.
Dr Luc Périno, explique qu'à la naissance il y a plus de similitudes entre les demi frères de même mères que des demi frères de même père. C'est une forme de protection maternelle, l'empreinte maternelle est plus forte. Cette empreinte parentale va conditionner la lactation.
Le microchimerisme ( que vous pourrez retrouver dans le dossier outil guide de l'allaitement maternel de l'association ), ce sont les cellules elles mêmes, qui vont passer la barrière placentaire et influencer plusieurs fonctions chez la mère pour qu'elle donne le plus possible ( influence thyroïdienne, cérébrale etc ) pour la survie du foetus et nourrisson.
Le lait maternel, un médiateur symbiotique entre la mère et l'enfant :
L'allaitement maternel n'est pas seulement utile pour nourrir, il l'est aussi pour de multiples autres raisons :
- antalgique
- microbiote
- attachement
- anti-inflammatoire
- variable
- et d'autres
L'expérience de Harlow démontre que les bébés chimpanzés préfèrent une peluche qui ne nourrit pas mais contre laquelle ils peuvent se blottir, qu'un chimpanzé robot qui donne le biberon, quitte à en mourir.
Katie Hinde a fait des recherches sur le lait maternel et sa variabilité, elle a pu prouver que le lait maternel change en fonction du sexe, de l'âge, de l'histoire de vie. L'allaitement maternel n'est pas qu'un aliment.
L'enjeu aujourd'hui en 2021-2022, c'est que l'on ne fasse rien perdre aux femmes de manière à ce qu'elles puissent concilier allaitement et vie professionnelle, en plus de tous les autres facteurs pouvant mettre à mal leur allaitement.
Merci pour votre lecture.
Extrait de la conférence du Dr Luc Périno, lors des JRA 2021.
L'Or Blanc, Réseau de soutien à l'allaitement maternel.
L'Or Blanc - Association Sanitaire et social (lorblanc.org)
Santé entre science et raison, médecine entre profit et précaution (lucperino.com)
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